• La dame inconnue

    La dame inconnue

     

    Mes pas crissent sur le gravier de l’allée comme un reproche, je dérange, je n’ai rien à faire dans ce lieu interdit qui n’accueille plus que des fantômes, ceux de ma jeunesse. Et pourtant, le gros marronnier est toujours au même endroit, son feuillage est toujours aussi dense, j’entends le babillage des oiseaux qui le hantent. Je les imagine, sautant de branches en branches,  sifflant des déclarations d’amour. Ce ne sont plus les mêmes, des descendants probablement de ceux qui j’ai entendus chanter, il y a trente ans. Les arbustes tendent leurs branches de chaque côté de l’allée, dans un an, dans deux peut-être, ils auront pris possession de ce passage. La porte en bois qui s’ouvrait sur le sentier menant vers la rivière est collée au sol, je n’ose la bousculer, elle pourrait se désintégrer. Je franchis le mur de pierres par une ouverture provoquée par un effondrement, des parpaings gisent dans les orties…

     

    C’est un visage de femme qui m’apparaît, souriant, agréable. Que m’est-il arrivé ? Il me semble que j’ai trébuché sur l’éboulis.

    Je porte la main à mon front… un pansement.

    -Oui, vous êtes tombé, heureusement, notre jardinier a entendu votre cri.

    Un parfum agréable flotte dans cet endroit, je suis étendu sur un sofa, la dame me prend la main, la sienne est douce.

    -Ne bougez pas, reposez-vous, le traumatisme est léger, mais le sang coulait abondamment.

    Du sang, je résiste à tout, mais j’ai peur de perdre du sang, un mauvais souvenir, la nuit où, dans une ville asiatique, j’ai pris un coup de couteau dans la jambe, je croyais ma dernière heure arrivée, l’artère fémorale touchée. Heureusement, la présence d’un docteur dans ce quartier pourtant mal fréquenté et la longueur de l’arme avaient évité le pire.

    -Que faisiez-vous dans cette broussaille ?

    -C’était la maison de mes grands-parents.

    -Vous êtes le fils de Christophe, c’est évident, vous lui ressemblez ?

    Je ne pouvais qu’acquiescer,  je voyais alors un voile de tristesse passer sur le visage de mon infirmière.

    Je n’osais demander pourquoi cet émoi soudain à l’évocation de mon père, la dame répondait tout de même à ma question.

    -C’était un ami d’enfance, nous nous rencontrions durant les vacances.

    Mon père ! Cet homme froid et austère, comment pouvait-il se lier d’amitié avec une si jolie dame ?

    Je remerciais ma salvatrice et la quittais, je sortais par le portail, elle n’avait pas bougé du perron et me saluait de la main jusqu’à ma disparition.

     

    -Oui, Blandine, naturellement je me souviens, elle est donc revenue des Etats-Unis.

    Mon père regardait à travers la porte-fenêtre du salon, il était ému, je ne l’avais jamais vu ainsi.

    -Nous étions jeunes, nos jardins étaient voisins, mon premier amour, j’y pense encore… j’y pense encore…

    Mes rapports avec mon père ont changé depuis ce jour. 

     

     

     

     

     


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :